Comme les autres matins, après avoir pris un sérieux petit-déjeuner, et pris aimablement congé de mes hôtes, je me suis engagé sur la route le cœur léger et le pied vivace.

La soirée précédente avait été excellente, et bien des nouveautés allaient m’attendre en chemin !

Parti vers 9 heures, je quitte assez rapidement Fontenay-le-comte pour entrer dans une campagne faite de bosses et de creux, de façon assez plaisante pour l’automobiliste, mais qui se révèle horrible pour celui qui doit pédaler sur dans un terrain aussi contradictoire.

Après presque deux heures passées dans un labyrinthe de routes agricoles, plusieurs vallons escaladés péniblement et seulement une vingtaine de kilomètres accomplis, je décide de changer mes plans, et de rejoindre l’axe majeur le plus proche, malgré les mises en garde de mon hôte, qui connaissait mieux la région que moi.

C’est après des détours et encore des raidillons gravis en première vitesse, que j’atteins la départementale recherchée. Et encore plus de 50km devant moi. L’enfer peut enfin s’ouvrir.

Oui, le mot d’enfer n’est pas exagéré, car derrière la trompeuse récompense d’une descente rapidement avalée, le terrain vous oblige à remonter pratiquement la même dénivellation, voire davantage… Et avec mon vélo, bien chargé, l’ascension de la pente perd rapidement son allure, et me force à lutter dans la lenteur et le moulinage de la première vitesse.

Malheureusement, ma carte routière n’indique aucunement le relief, ni indice de pente. La route était pourtant rectiligne, peu longue, elle m’a quand même bouffé beaucoup d’énergie sur peu de distance.

C’est le tronçon entre La Châtaigneraie et St Pierre-du-Chemin. À un chantier routier, où la circulation est alternée, je laisse bien évidemment passer le plus de véhicules devant moi, mais cela n’a pas empêché que d’autres se retrouvent derrière moi, sans possibilité pour eux de me dépasser.

Me voici donc à la tête d’un cortège d’automobilistes bien patients, sur plus de 500 mètres. C’est heureusement, plat, je pédale vivement, ça descend, je file, mais ça remonte juste après… Je lutte, je lutte avec entrain pour ne pas retarder davantage.

Il est presque midi, le sol était déjà contre moi, et l’atmosphère risquait aussi d’être mon ennemie.

Je me pose à Saint-Pierre-du-Chemin, presque essoré par les efforts fournis.

Après un copieux sandwich avalé, et un coup de fil inattendu d’un vieux pote, je repars à l’assaut de la route, résigné à pédaler, mais pas à rebrousser chemin.

La suite ? Une température de 38°C, et des côtes, et encore des côtes. Heureusement, j’ai de l’eau, et des barres énergétiques.

Le corps souffre, soupire, se plaint, mais le mental commande et tient bon. Parfois, malgré tout, il faut faire halte, soit pour reprendre son souffle, ou pour dissiper une raideur, une crispation, un excès de chaleur, manger quelque chose de sucré pour que l’organisme tienne, ou même simplement espacer la pénibilité des ascensions.

Et des kilomètres qui se comptent encore par dizaines. Il faut tenir, me dis-je, jusqu’au bout, jusqu’à Cholet ; le plus important est fait (pas forcément le plus difficile), même si c’est à chaque montée avec un peu moins d’audace, et toujours un peu plus de palliatif pour amoindrir l’effort : un bonbon, un chewing-gum neuf, qui apporte un goût puissant et sucré en bouche. Cela offre un peu de consolation et de glucides, et ça aide la conscience à se détourner de l’effort.

Quelle machine formidable que le corps humain, me disais-je positivement. J’étais en train de dépasser mes limites d’endurance, au prix d’une dépense puisée dans un capital biologique. Mais gare à ne pas en abuser, par excès de confiance ou par orgueil, et franchir une limite fatale, qui causerait un évanouissement par fatigue.

Après une après-midi complète au soleil et consacrée à un effort physique intense, je sentis que même mes sources d’énergie habituelles ne parvenaient plus à me redonner de tonus.

Il y avait indiscutablement la fatigue musculaire, mais même en m’arrêtant, je ne récupérais que très peu. Puis j’eus ce rappel en guise d’avertissement : une goutte de sueur vint à couler sur mes lèvres, et son goût puissamment salé fut le signal d’une déshydratation en marche.

Ce fut donc le moment de me servir à boire une drôle de « potion magique » que j’avais emmenée pour ce genre de situation : une poudre à diluer, contenant des sels minéraux indispensables. Après en avoir bu deux sachets, très rapidement, les idées sont redevenues plus claires, et le corps un peu plus disponible. Encore une heure de route plus tard, et j’ai pu enfin poser pied à terre, chez mes hôtes, bien éprouvé par l’épreuve du jour.

Bilan de la journée : à relief trop accidenté, un vélo chargé et c’est vite l’épuisement. J’approuve l’idée de mon hôte et providentiel bienfaiteur de renvoyer à la maison des affaires inutiles ou trop pesantes. Même s’il m’apprend que par la suite le terrain deviendrait plus clément, cela ne présage pas ce que je trouverai en Angleterre… Il faudra donc se résoudre à lâcher du lest.