Nouvelle journée, nouvelle aventure ! Après un petit déjeuner bien garni, et avoir laissé en guise de remerciement quelques-unes de mes victuailles à mon hôte, je referme le portail devant le labrador de la maison, pour que ce dernier ne s’échappe pas. En quelques minutes, je suis sorti de Saint-Jean-d’Angély. Les voitures sont encore rares. Je vais longer l’A10 par son côté ouest sur la départementale 120 qui file du sud au nord, et entrer dans le pays poitevin.
Les collines se succèdent, ce qui brise l’allure, et vide les jambes. Heureusement, quelques belles descentes surviennent après des ascensions méritantes.
C’est pendant ces phases lentes et intenses que je redécouvre le pouvoir magique du chant sur le moral : non seulement chanter vous divertit l’esprit, mais il raffermit la volonté, et réveille quelque énergie encore en stock. Pour cela, la Marseillaise est très efficace !
Et puis encore les surprises que réserve le voyage : après avoir rapidement opté pour un coin de bosquet, derrière un tas de décombres pour alléger ma vessie, je savoure cet instant de quiété, seul. À proximité, dans le bosquet, entre les brises de vents, je perçois les sonorités discrètes des branches piétinées, des buissons froissés par un passage. Un animal sauvage, me disais-je.
Retourné à mon vélo, je prends une barre de céréales pour me redonner un peu de tonus, et quelle ne fut pas ma surprise de me trouver en face d’un paysan, salopette en jean, chemise à carreaux et gilet de laine. Son visage abondamment fripé laissait deviner qu’il n’avait plus vingt ans.
C’était lui, dans le bosquet, en train de faire sa promenade. Malgré ses quatre-vingt-dix ans, il est encore du bon côté de la barrière, et vit dans la ferme qu’il a longtemps exploitée, mais c’est un de ses neveux qui a repris l’exploitation. Du blé et du maïs, voilà ce qu’ils cultivent principalement. Les bovins, l’élevage, c’est terminé depuis quelques années, me confia-t-il.
Après l’avoir salué, je reprends le chemin, et arrive après une heure officiellement dans le pays du marais poitevin. Une petite aire de repos ombragée se trouve immédiatement après cette frontière pittoresque, et surtout en bordure de rivière, moribonde en ce début d’été sec, mais les batraciens s’en donnent à cœur joie, et accaparent toute mon attention.
Voilà que je me retrouve à avancer à pas de loup jusqu’au bord de la rive pour tenter d’apercevoir un de ces chanteurs des marais, mais sans succès. Même centimètre par centimètre, ils ont sans doute senti mon approche, et observé le silence. Un peu dépité malgré tout, je remonte en selle et reprends le chemin.
La journée est de plus en plus chaude, et je fais halte dans un petit village, Coulon, où je trouve une brasserie où je mange plus que d’ordinaire, mais à besoin. Puis je m’avise de rester à l’ombre jusqu’à trois ou quatre heures de l’après-midi, afin de ne pas trop souffrir des chaleurs et de déshydratation. Puis vient le moment de la reprise. Je passe par Glande, Benet, Bouillé-Courdault, Mauvais, La Porte de l’Île, La Souil, et Fontenay-le-Comte, qui apparaît enfin sur les panneaux indicateurs comme un regain de sérieux dans la typologie des villes…
Mais j’ai encore de l’avance. Mon hôte n’a pas encore débauché, mais il me fait savoir par texto que je peux m’adresser à sa voisine pour déposer mes bagages et continuer la visite de la ville en mode « léger ». C’est en effet à une personne affable et serviable que j’ai eu affaire, et qui en très peu de temps m’a même donné accès à son jardin et à un abri pour y déposer mon chargement, à l’abri des regards et du passage. Une vraie amitié existe entre mon hôte et son voisinage, ce qui est de bon augure !
Et mon sentiment ne m’a pas trompé : c’est un jeune homme d’une trentaine d’années, travaillant dans les assurances, et doté d’une générosité et d’une accessibilité louables. Lui et sa compagne semblaient filer le plus serein et confiant des amours. La soirée fut hélas trop courte pour nos discussions, et il fallut interrompre nos fructueux échanges et partir se coucher.